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L’enfantement des écrans

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Par James Mathias Demain

Les écrans portent bien leur nom. Ils font écran à la conscience pleine de l’existence et nous font perdre la notion du temps. Les écrans absorbent jusqu’à la presque totalité de notre existence, ils nous attirent sans cesse car ils répondent à nos désirs immédiatement. Répondre à nos désirs immédiats, n’est-ce pas se révéler enfant à jamais. Les écrans seraient donc le vecteur d’une forme d’immaturité collective.

Mais les écrans sont ambivalents : d’un côté ils se révèlent être des outils d’une efficacité redoutable ; de l’autre une source intarissable de divertissements. L’ampleur considérable du divertissement se cache derrière sa petite fonction d’outil, ainsi l’honneur est sauf donc. Pourtant la culture véritable bien souvent, s’en est allée.

 

L’immaturité et l’impulsivité du « no limit » vont pouvoir donc régner à échelle civilisationnelle, comme un nouvel art de vivre.

Nous ne parlerons pas des adultes dans cet article mais juste des enfants.
Pourquoi réduire le temps qu’ils passent devant les écrans ?

Parce que sans la culture et la connaissance historique l’homme est dépourvu du sens de l’histoire. Nos enfants suréquipés se détournent de la culture véritable et de la concentration profonde, ils retournent à une forme d’impulsivité et d’animalité redoutable. La société consumériste organise actuellement une terrible régression collective, une véritable violence en devenir. Lorsque les têtes sont vides de l’essentiel, il ne reste ni conscience, ni compassion, ni empathie. Il reste essentiellement un ego vide, instable, insatisfait et tyrannique.

Il semble que notre progrès technologique s’accompagne d’un retour au néant existentiel, au vide sidéral. La crise économique actuelle risque de mettre en évidence cet avènement de l’ignorance produite par l’ère des écrans multiples, de la connexion continue, des notifications directes au système nerveux. Trop de stimuli virtuels tuant finalement la capacité à ressentir le réel ainsi les enfants ne sont plus ni disponibles ni ouverts au monde véritable.

Réduisons donc la quantité de stimuli pour reprendre la main sur le réel, son histoire, son sens profond et donc son avenir.

Oser donner des limites aux désirs des enfants, semble être considéré comme une forme de violence dans notre société consumériste hédoniste, ultra-permissive.
Poser des limites, il y a quelques années encore on appelait cela “éduquer”.

Beaucoup de parents renoncent simplement à éduquer leurs enfants, laissant à l’école le soin de “gérer” la situation (bon courage). Je rencontre de plus en plus d’adolescents qui ne savent même plus tenir une simple fourchette, ou mangent un pied sur la chaise, le genou au niveau du visage. Le plaisir avant tout, l’enfant peut donc se comporter comme il l’entend et consommer ce qu’il souhaite quand il le veut. Inutile donc de se dire bonjour ou même un merci reconnaissant à ceux qui prennent soin de lui.

Soit. Et le commun alors ? Le repas à table, le jeu, l’échange véritable, la culture commune ?

Toutes ces choses simples partent en poussière sous la puissance attractive de la sous-culture de masse orchestrée par les écrans. Les divertissements et les stimulations nerveuses en guise de culture feront donc l’affaire. Les choses sont ainsi et se dessine rapidement le monde bien cruel de demain. Voyez l’état de la planète et chacun saura l’état de l’humanité dans sa conscience et dans ce qu’elle produit.

S’il y a erreur aujourd’hui c’est de laisser les enfants face aux médias, publicités, technologies, alors qu’au fond tout est question de liens, d’attention, de temps réellement passé ensemble, de culture véritable, d’échanges et par-dessus tout de réalité. Encore faut-il se rendre « réellement » disponible à ses enfants.

Beaucoup de grands-parents ne s’intéressent plus actuellement à leurs petits-enfants et d’une façon terrible, la réciproque est tout aussi vraie. La transmission s’arrête dans les cœurs et dans les faits. Mais faute de culture, et de liens intergénérationnels, qu’y a t-il encore à transmettre finalement ?

Allumons donc les écrans faute de ne plus savoir quoi faire d’autre.

L’enjeu de notre temps est le lien humain et la transmission_: les écrans, sous prétexte de les renforcer, les font disparaître rapidement sous de simples apparences de réalités.

Nous sommes tous reliés technologiquement, certes, mais où sont donc passés l’amour et l’amitié véritables ? Où est le temps, ce temps du commun en-dehors des écrans qui nous fait connaître l’expérience commune du réel, de l’amitié et de l’amour.

Nos enfants auront bientôt exclusivement des relations d’objets entre eux. Tout cela est de notre faute, nous les parents qui ne mettons pas de limites aux plaisirs de pacotilles orchestrés par notre monde techno-industriel.

Entre les enfants d’aujourd’hui par exemple, existe t-il encore cette notion de “la parole donnée” ? Notion qui structurait nos sociétés à l’époque encore récente de nos grands-parents.

L’instantanéité semble devenir la règle de vie, et les plaisirs comme les désirs, désorganisent des liens sociaux et les font disparaître dans la grande soupe du virtuel. Nos relations deviennent conditionnelles et mécaniques, filtrées par nos écrans de smartphones. Sous couvert de nous rapprocher, les écrans nous ont éloignés les uns des autres, et plus encore de nous-mêmes ainsi que du monde réel de la vie.

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Mathias Demain

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Liens

Le syndrome d’hypnose capitaliste

La puissance de l'écran

MATHIEU BOCK-CÔTÉ

Mardi, 21 février 2017 05:00

Le Journal a consacré un dossier, en fin de semaine, aux ravages du texto au volan­t.

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Des jeunes surtout, et des moins jeunes aussi, crèvent en voiture parce qu’ils n’ont pu s’empêcher d’écrire un message à quelqu’un, comme si la chose était si urgente qu’elle justifiait tous les risques et les sacrifices imaginables.

On a beau multiplier les campagnes contre le texto au volant, le grand nombre semble s’en moquer.

 

Pathologie

Au mieux, l’individu raisonnable attend d’arriver à la lumière [feu rouge] pour consulter son téléphone. C’est tout ce dont il est capa­ble. Après ça, c’est plus fort que lui.

Mais on le sait, la voiture n’est qu’un des lieux où l’écran exerce sa fascination et sa maléfique puissance hypnotique.

Il suffit de regarder dans la rue. Les gens marchent le nez rivé à l’écran.

Ou dans les restaurants. Combien de dîneurs en viennent à laisser leur con­ver­sation de côté un temps pour se jeter, avec un regard à la fois avide et mania­que, sur leur téléphone intelligent, dans l’espoir insensé d’y trouver quelque chose d’indéfinissable. Peut-être un message? Peut-être une notification Facebook­­?

Je suspecte certains amants d’interrompre ou d’abréger leurs ébats pour consulter leur téléphone intelligent.

Qui est encore capable, aujourd’hui, de ne pas se jeter sur son téléphone dès qu’une sonnerie annonce la réception d’un courriel?

 

Esclavage

Rarement aura-t-on vu s’installer aussi rapidement une telle forme d’esclavage volontaire. Nous sommes en état d’excitation permanente devant nos machines, en attendant la nouvelle qui bouleversera notre quotidien.

On demande à notre téléphone de donner une réponse à la question du sens de notre vie.

Certains disent que nous sommes devan­t un problème de santé publique. Peut-être. Mais nous sommes aussi devan­t un problème culturel et même politi­que.

C’est une manipulation massive des consciences qui est rendue possible par cette transformation des individus en robo­ts bien programmés.

 

Source :  

http://www.journaldemontreal.com/2017/02/21/la-puissance-de-lecran

Source : Journal de Québec du 21 février 2017, page 14.

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